Montréal, le 29 octobre 2020 Monsieur le Premier Ministre François Legault, madame la Ministre de la culture Nathalie Roy, Je tiens à vous informer de mon immense déception à l’égard du gouvernement du Québec en matière d’appui aux organismes culturels en ces temps extrêmement difficiles. La liste de doléances pourrait être longue, mais je vais me concentrer sur une situation qui nous touche directement : on ne pourra pas m’accuser de parler à travers mon chapeau. Le gouvernement du Canada nous a non seulement permis d’utiliser les fonds qu’il nous octroyait pour la tenue de la 5e édition du Festival tout’ tout court dans le cadre de ses programmes habituels de façon extrêmement souple pour s’adapter à la pandémie (programmes clairs et accessibles), mais en plus, en UNE page, nous avons pu obtenir une aide d’urgence en quelques jours bonifiant ces sommes de 25%, pour nous aider à composer avec les mesures sanitaires. La Ville de Montréal ne nous a pas non plus compliqué la vie : au contraire, aide octroyée rapidement et une collaboration de tous les instants. De votre côté, vous avez fait au nom de votre gouvernement des annonces bien prometteuses : des fonds dédiés et un traitement rapide des demandes, oui oui, pour ceux qui se risqueraient à explorer et se réinventer! Nous, on ne prend même pas la peine de demander des fonds au Conseil des arts et des lettres du Québec en temps normal, on sait qu’on n’est pas dans la liste des chouchous. Mais là, on vous a cru. On a participé aux webinaires du CALQ. On a pris connaissance des deux NOUVEAUX programmes (comme si, sans revenus, les petits organismes culturels avaient les ressources pour ça!), on a fait du remue-méninge et de la recherche, on a repensé du tout au tout notre programmation pour la rendre accessible de la maison – on savait même pas alors que vous refermeriez les salles à l’automne, mais on se disait qu’on ferait notre part avec une édition virtuelle pour contribuer à limiter la 2e vague – on a rempli des pages et des pages de formulaires, obtenu des soumissions, des CV, et déposé une demande le 28 juillet. Les 74 artistes professionnels de la 5e édition du Festival tout’ tout court ont accepté de travailler sans garantie de cachet. On a remis à l’UDA une grille de tarifs qui montrait que sans le CALQ, on pouvait pas se payer plus que 2 ou 3 $ de l’heure… mais que si le CALQ nous appuyait on serait en mesure d’offrir un cachet correspondant presqu’au SALAIRE MINIMUM à nos artistes. On a attendu, pis attendu votre réponse. On a espéré. Pour la première fois depuis des années, j’ai pensé que le CALQ nous aiderait. Pour vrai. En attendant votre réponse qui ne venait pas, on a foncé pis on s’est réinventé. On a répété avec masques et visières et enregistré toutes les courtes pièces et performances de notre programmation : 7 en baladodiffusion, 19 en format vidéo. Pas une seule contamination sur nos plateaux d’ailleurs : vous auriez dû voir nos mesures de gestion sanitaire, on désinfectait même le plancher entre chaque équipe! On a eu le temps de diffuser tous les contenus originaux du 7 au 17 octobre gratuitement. On a continué de les diffuser au-delà du festival, espérant toujours une réponse positive du CALQ. Monsieur le Premier Ministre, on offre une belle petite pièce à visionner gratuitement, « Djeebee », pour découvrir Molière : des professeurs du primaire s’en servent dans leurs salles de classe (mais nous on reçoit pas un sous pour ça) : on vous en offre un extrait! On a produit 7 beaux balados, ils sont tous disponibles ici. Commencez par le magnifique « Cette femme-là », avec les voix de Micheline Lanctôt et d’Anie Pascale, portant les mots de Véronique Clusiau : ça devrait vous donner le goût de poursuivre. Et si vous aimez les chiffres autant que moi, M. le Premier Ministre, et je suspecte que c’est le cas, je vous propose d’écouter le balado que j’ai conçu avec un prof de physique de l’UQTR, Évariste. Mais si vous voulez plutôt amuser vos petits-enfants, on a un balado jeunesse, Les grandes filles, on vous le recommande pour l’Halloween, c’est rigolo pour jouer à avoir peur… Madame la Ministre, allez visionner les spectacles filmés de Courtes en scène où vous verrez à l’œuvre plein de jeunes diplômés sortis cet hiver des écoles de théâtre professionnelles que vous soutenez : ces jeunes, à cause de la pandémie, ont une première année de carrière plutôt difficile et jouer au Festival était une rare occasion pour eux en 2020 de faire leur métier. La programmation détaillée est sur notre site web : http://touttoutcourt.com/edition-2020-decouvrir/ Faites-moi signe si vous voulez un laisser-passer complet ou des suggestions ciblées pour vous retrouver dans notre programmation touffue, malgré nos modestes moyens, mais faites vite, parce que grâce à votre absence de soutien financier, tous les contenus disparaîtront ce samedi 31 octobre. Car oui, vous avez enfin mis fin à votre silence radio ce matin. Ça aura pris TROIS mois, monsieur le Premier Ministre et Madame la Ministre de la culture, pour que nous recevions un laconique refus : « Votre demande n’a pas reçu une réponse favorable. Les décisions s’appuient sur l’évaluation de votre projet au regard des objectifs et des critères du programme et de sa valeur comparée avec les autres projets soumis. La sélection finale tient compte également du budget alloué à ce programme. » J’ai énormément de peine que les 74 artistes professionnels qui se sont investis corps et âme pour se réinventer et produire des contenus accessibles à tous, de la maison, se retrouvent avec des cachets ridicules, mais je demeure néanmoins extrêmement fière de ce que leur talent aura permis de faire, dans des conditions épouvantables. Et je suis heureuse que nous ayons pu rejoindre des milliers de Québécois, qui eux, oui, sont intéressés par ces contenus. Mais je regrette amèrement d’avoir perdu mon temps et de vous avoir cru. Trois mois pour répondre aux demandes et un processus compétitif qui n’aide que quelques projets : on est vraiment loin d’un appui réel au milieu, et encore moins d’un appui d’urgence. Votre engagement à l’égard de la culture n’est pas sérieux. Et il n’est pas adapté à la situation des artistes en arts de la scène. Vous pourriez et vous devriez faire tellement mieux pour que les arts vivants de chez nous n’agonisent pas. Vous nous laissez mourir à petit feu. Véronick Raymond, directrice générale et artistique du Festival tout’ tout court et artiste en arts de la scène |